mercredi 13 août 2008

Pour beaucoup, le bouddhisme est une éthique éthérée et hautement métaphysique, une sorte de jeu intellectuel qui ne connaît pas de forme concrète de pratique sinon de se réfugier dans un monastère ou une retraite, de s'y faire tondre le crâne et d'y chercher l'extase dans la position du Lotus, les yeux mi-clos, récitant quelque incantation magique...
Puis lorsque l'on se rappelle les bonzes Tibétains, puis les Birmans, et les Thaïs, et les pagodes Vietnamiennes, tout d'un coup on se dit qu'il y a probablement une pratique, des rituels, des codes, des règles et des églises. Mais elles restent confinées dans de lointaines contrées, au milieu de décors exotiques peuplés d'orientaux mystérieux et indéchiffrables.
En ouvrant les magazines de l'Eté, on découvre ces religions de l'Orient qui fascinent tant les occidentaux. C'est comme si les martiens débarquaient sur Terre. La lecture d'un "dossier" sur le bouddhisme est aussi étonnante que de lire Tintin au Tibet dessiné par Hergé il y a plus de trente ans ! On en vient à se demander si les bouddhistes ne sont pas des E.T. moins moches que celui de Spielberg et qui téléphonent maison avec des instruments bizarres et bricolés.
Je ne sais jamais, malgré les efforts de nombreux rédacteurs érudits ou enthousiastes, si le but de ces "dossiers" est de rassurer le chaland sur ses préférences chrétiennes en dépit des hésitations et des doutes, ou s'il s'agit de faire fuir les audacieux qui s'écartent du choix binaire de croyant vs. athée. Ce qui est certain c'est que l'on n'a rien sur les formes de pratiques concrètes que peuvent prendre les différentes branches du bouddhisme. Pas plus que l'on n'a de mention de l'action sociale et politique ou des enchevêtrements qui existent entre les bouddhismes et les cultures dans lesquelles ils existent.
Les journalistes occidentaux ne se risquent pas sur les termes et les principes de la pratique. Soit ils n'y connaissent rien, soit ils pensent les pratiques comme des exercices complexes, des disciplines ardues et difficilement pénétrables. Comme si le christianisme était dépourvu d'exercices spirituels, de complexités, de doctrines et d'une manière générale une théologie complète de haut vol. L'occidental, qu'il soit ou non journaliste, a perdu de vue ses propres pratiques de chrétien et ignore complètement le profondeur de ses propres racines religieuses. Alors comment pourrait il envisager la profondeur et la complexité d'une philosophie aussi étrangère que le bouddhisme ?
Pour cette raison, quand l'occidental moyen entre en collision avec les traditions bouddhiques, c'est le choc. Le bouddhisme rappelle à l'occidental moyen le décalage qui existe entre l'individu urbain, dénaturé, asservi par la consommation de masse, et les réalités d'une vie en lien avec les autres, l'environnement, le monde. Puis à la faveur de la découverte de cet extraordinaire maillage que propose le bouddhisme, l'occidental croit avoir enfin trouvé la voie, alors qu'il n'a fait que reconstituer une représentation du monde spirituelle préexistante. Son périple intellectuel l'amène à rencontrer des personnalités telles que l'actuel Dalaï Lama, Taisen Deshimaru, Tchogyam Trungpa, Krishnamurti, Sri Ramana Maharshi, Sri Aurobindo pour ne citer qu'eux. Puis vient le bouddhisme et sa littérature et avec elle un réseau encore plus dense de liens et de relations entre toutes les composantes de l'existence.
C'est à peu près là que l'occidental retrouve le chemin de ses origines chrétiennes. Quoi de plus naturel ? A travers le bouddhisme, l'individu ayant perdu ses repères vis-à-vis du sacré, du rituel et de la spiritualité, retrouve les tenants de la spiritualité occidentale. Car les grands courants de salut universel, les religions du livre comme l'appellent les musulmans,sont riches en spiritualité, riches en traditions, riches en symbolique et surtout riches de sens de la vie. Au diable l'illusion religieuse dont nous rebattent les oreilles les psychanalystes freudiens. Même s'il est vrai que croire en Dieu participe d'un besoin irrépressible de protection paternelle, cela ne récuse pas la possibilité du salut, la rencontre mystique ou la révélation divine.
Personnellement, je ne crois pas en Dieu, ni en des dieux, ni même dans d'éventuelles créatures célestes que certains bouddhismes désignent comme divinités bouddhiques. Je ne suis pas non plus mégalomane et je ne crois pas être Dieu, un sage ou même un esprit éclairé... Au travers du bouddhisme, je comprend que l'on retrouve ses racines religieuses et à travers de ces dernières que l'on reconstruise l'être spirituel qui nous habite. C'est cela, à mon sens, le génie du bouddhisme.
Les bouddhismes invitent l'être humain à l'éveil. Ils le replacent au centre d'une représentation de l'univers dans laquelle, il ou elle dispose de la capacité de transformer son existence et d'exercer une influence positive dans son environnement humain et par extension dans son environnement tout court. C'est en cela que le bouddhisme se pratique au travers de tous les bouddhismes.
Ce qui les différencie est essentiellement la posture intellectuelle adoptée dans telle ou telle tradition. Les prières, les méditations, les exercices spirituels sont divers mais conduisent invariablement à une authentique et lucide prise de conscience de sa propre responsabilité dans les événements de notre vie. Cette pratique nous donne la force vitale nécessaire pour bénéficier d'une juste perception et des conditions favorables dans notre projet d'existence.
Malgré une longue histoire, les bouddhismes ont conservé l'essentiel de leurs traditions et de leurs rites. Et ces pratiques nous renvoient tous aux traditions et aux rites de nos grands courants de salut universel. Quoi de plus normal que les occidentaux qui rencontrent le bouddhisme retrouvent le chemin de leurs traditions, puis, pour certains, en fabriquent de nouvelles au travers de pratiques exotiques mais bien vivantes. Les bouddhistes occidentaux développent, à l'instar d'autres peuples avant eux, des formes de bouddhisme nouvelles. Elles viennent s'ajouter aux bouddhismes orientaux et intègrent des rituels millénaires dans nos sociétés contemporaines.
Le bouddhisme, ça se pratique et ça se pratique aujourd'hui et ici en Occident. Ce souffle infatigable et étonnement moderne vient revitaliser la spiritualité et l'humanisme des croyants comme des incroyants.

lundi 11 août 2008

C'est la question qui tue.
Le bouddhisme existe-t-il ? Ou bien doit-on parler des bouddhismes ? Car si le bouddhisme est une référence directe au titre de son fondateur, le bouddha, les enseignements de ce dernier sont si nombreux, si variés et si multiples qu'il est difficile de croire qu'il s'agit de l'œuvre d'un seul esprit. Tapez bouddhisme dans Google et vous sortirez des millions de pages... le plus grand nombre est pertinent et toutes représentent une facette de cette philosophie.
Alors, est-ce une spiritualité fourre-tout ? Une vaste et infinie poubelle métaphysique ? Je dis non !
Le bouddhisme est ce que le bouddha a voulu qu'il soit. Un ensemble de principes capables de fonctionner indépendamment les uns des autres et aisés à ordonner dans un système logique qu'il soit religieux ou simplement éthique. Ce que le monsieur essaye de vous dire est que le bouddhisme n'est pas un dogme (ou un ensemble de dogmes) auxquels il faut croire, ni une représentation définie du monde (ou de l'univers). Le bouddhisme est un attirail d'outils intellectuels et spirituels pour faire face aux complexités de l'homme, de son environnement et des interactions qu'ils entretiennent. C'est pour cette raison, à mon avis, qu'il y a autant de courants, de chapelles, de sectes, d'écoles et d'obédiences bouddhistes, que tout le monde peut se dire bouddhiste après la lecture de Chogyam Trungpa ou plus populaire encore, le Dalaï Lama, et que le bouddhisme reste la spiritualité la plus accessible et la plus facile à quitter.
Les bouddhismes, voilà un point de vue qui permet d'envisager volontiers un dialogue comme ceux qui truffent les soutras (les enregistrements écrits des enseignements du Bouddha). Sont-ils égaux ? Sont-ils meilleurs les uns que les autres ? Sont-ils plus efficaces ou bien plus proches de l'enseignement du maître originel ? C'est comme comparer les architectes d'aujourd'hui et les maîtres bâtisseurs du 12e siècle. Les premiers construisent la pyramide du Louvre, les autres érigent la cathédrale de Notre Dame. Alors qui est le meilleur ? Qui l'emporte ? Qui est supérieur à l'autre ?
Cet exemple sommaire laisse entendre qu'il ne saurait y avoir de compétition au sein de tous les bouddhismes. Pourtant, nombre sont les courants bouddhistes qui n'ont de cesse de prouver la supériorité d'un enseignement sur un autre, d'une école sur l'autre, d'une période sur une autre. C'est certainement le propre des hommes que de vouloir à tout prix revendiquer une quelconque supériorité y compris dans le domaine le plus intangible qui soit.
Revenons alors à la question première : qu'est-ce que le bouddhisme ?
L'objectif premier du bouddha, tout les courants en conviennent, est l'éveil. L'éveil à quoi ? A l'impermanence de ce monde et au fait que tout ce que nous tenons pour réel n'est qu'illusion et donc souffrance. Voilà c'est dit. Le monde que nous percevons est faux et il change constamment. Simple, propre, clair... Rien de vraiment original jusque là. C'est le remède à cette impermanence et aux souffrances qui l'accompagnent qui fait l'originalité des bouddhismes : une formule universelle pour tous et un remède personnel pour chacun. La formule universelle : percevoir la réalité des choses occultée par les illusions, en bref l'illumination. Le remède personnalisé : emprunter un ou plusieurs des sentiers proposés par le bouddha pour parvenir à l'illumination.
Pris dans leur ensemble, les bouddhismes forment un mouvement spirituel prolifique et original qui placent l'individu au centre du dispositif. C'est la pluralité au service de la multitude. Prises séparément, les écoles ne sont rien d'autre que des petites églises obligées de justifier leur validité en s'opposant à toutes les autres.
Malgré une culture athée, il m'a fallu assez longtemps pour considérer un tel point de vue. Etait-il possible de faire cohabiter dans un même espace d'idées et de croyances des systèmes aussi différents en antagonistes que le Zen, le bouddhisme Tibétain et celui de la Soka gakkai ? En première lecture, c'était impossible. Il fallait donc appliquer le bouddhisme dans le réel aussi bien à une échelle personnelle qu'à l'échelle d'une société ou d'un monde pour comprendre certaines subtilités historiques, puis de remettre dans des contextes politiques et culturels les discours et les prises de position.
En pratiquant le bouddhisme, il est possible de voir la mosaïque humaine qui se cache derrière les illusions de divisions et de clivages. Cela ne signifie pas de mettre en œuvre toutes les pratiques à la fois dans toutes les langues dans lesquelles elles sont pratiquées. Le bouddhisme n'est pas la schizophrénie. Mais il vient un temps où les bouddhismes forment un tout cohérent et dynamique au même titre que l'univers dans lequel je ne croyais être qu'une simple particule de poussière.
Est-ce cela l'illumination ? Je ne sais pas. Mais concrètement, je suis certain qu'il s'agit du bouddhisme en action.

dimanche 10 août 2008

Discussion[s]

Le bouddhisme est affaire de dialogue et d'échange.
Mais la multiplicité des courants a rendu le dialogue parfois difficile, quand ce n'est pas un dialogue de sourds. Tous les courants sont persuadés de pratiquer et d'enseigner le véritable bouddhisme, ou le bouddhisme définitif, ou même le meilleur bouddhisme. Mais il n'y a pas un bouddhisme, seulement des bouddhismes. C'est ce qui apparaît à la lecture de l'immense corpus de textes canoniques et non-canoniques qui forment le socle doctrinal du bouddhisme (en tant que philosophie). Ce ne sont ni les pratiques qui manquent, ni les enseignements. Ce qui manque, c'est l'écoute et l'ouverture.
J'essayerais ici, à l'instar de plusieurs camarades à travers le monde et dans des langues différentes, d'explorer et de discuter cette pluralité prodigieuse. Au travers d'articles et de réactions, il est possible de faire avancer le débat et de commencer à penser le bouddhisme en bouddhismes et non plus en sectes...