mardi 31 mars 2009

Vivant, étant né et évoluant dans un pays très catholique malgré des apparences de laïcité, on peut vraiment se demander pourquoi pratiquer le bouddhisme. D'autant que les réformistes et les progressistes ne manquent pas dans l'Eglise catholique et plus généralement au sein du mouvement spirituel et religieux chrétien dans son ensemble, toutes confessions confondues. Devant un tel choix religieux, qui mystique, qui monastique, qui alternatif, qui populaire, pourquoi diable aller pratiquer consciencieusement une philosophie aux limites de la religion telle que le bouddhisme.
Car le bouddhisme ne se vit pas comme une philosophie. Il ne se borne pas à un code de conduite, une éthique et un système de valeurs et de pensée. Le bouddhisme poursuit la démarche philosophique par une authentique liturgie, une étude religieuse de la doctrine et une adhésion à des dogmes... Comment ça des dogmes, se demandent certains ? Oui messieurs et dames, des dogmes...

En général, les occidentaux considèrent le bouddhisme comme une spiritualité (dans son sens bâtard de ni tout à fait religion, ni tout à fait philosophie) athée et non dogmatique. C'est un point de vue complètement erroné.
Dogma, en latin classique pré-chrétien signifiait doctrine ou thèse. Par extension rationnelle, le terme recouvrait également une posture théorique admise par le plus grand nombre ou par un collège gouvernant au sein d'un groupe précis. Plus tard, avec l'avènement de l'ère chrétienne, le terme est entré dans le vocabulaire de l'Eglise pour signifier un point de doctrine contenu dans la révélation divine et auquel les fidèles sont tenus d'adhérer. En bref, le dogme est une proposition (théorique) dans laquelle on a foi pour pratiquer un enseignement religieux ou philosophique. Aujourd'hui encore, on utilise le terme pour désigner les théories ou les thèses admises dans telle ou telle école (en général antique).
Le bouddhisme échappe-t-il à cette règle du dogme, ou plutôt des dogmes ?
Non, le bouddhisme propose, comme toutes les écoles de pensée philosophique, religieuse ou spirituelle, un ensemble conceptuel théorique auquel le pratiquant doit adhérer pour pratiquer pleinement l'enseignement du bouddha. Les articulations de cet ensemble éthique et religieux ne sont pas appelés dogmes par les adeptes du bouddhisme en Occident, mais force est de constater que si vous ne croyez pas qu'il y a un dharma universel, des vecteurs de concentration pour le percevoir, des liturgies pour l'invoquer et le manifester et toute un éventail de démarches morales, éthiques et intellectuelles pour le mettre en œuvre dans votre vie quotidienne, et bien vous ne pratiquez pas le bouddhisme... un point c'est tout.
Ce qui diffère des grands courants occidentaux et orientaux (l'Islam est résolument une religion de l'Orient), c'est l'absence de révélation transcendantale et/ou divine. Aucun dieu ou intelligence supérieure n'est venue souffler au bouddha les enseignements qu'il a professé tout au long de sa vie. Et bien que les dieux et puissances célestes ou supérieures ne soient en rien absentes du canon bouddhique, ces derniers ne font que confirmer les dires de Shakyamuni et abonder dans son sens.
Pour le reste, les révélations de Shakyamuni sont parfaitement dogmatiques. Et l'évolution des courants héritiers de la tradition bouddhique, qu'ils soient indiens, chinois, japonais ou autres, comportent tous la nécessité de la foi dans les révélations de Shakyamuni pour pénétrer dans l'univers spirituel bouddhiste. Si l'on ne croit pas, de manière nette et convaincue, dans les enseignements du maître du Dharma, alors il n'y a pas de miracle, le pratiquant récalcitrant ne voit aucun résultat dans sa pratique. Et cela en dépit des bienfaits de la méditation et des paroles de sagesse du bouddhisme. Car n'importe qui peut recevoir des bénéfices superficiels de la récitation d'un mantra, de la méditation vipassana ou de la concentration sur un mandala. On reçoit même des bienfaits d'actes de piété filiale ou religieuse, d'offrandes et de dons, et de la lecture ou de l'écoute des enseignements et autres aphorismes du bouddhisme. Il en va de même pour n'importe quelle religion...

Le bouddhisme est fondé sur du dogme. Et les dogmes sont nécessaires pour pénétrer dans les couches les plus profondes de la psyché, de l'âme, de l'intimité de l'être. Ils sont une manière de se représenter le monde et servent d'outillage pour décortiquer et manifester la substance de l'être, et par là même la substance de la foi.
Cette réalité commune à toutes les démarches philosophiques et religieuses (et donc de la spiritualité) conduit les êtres à adhérer à tel ou tel courant en suivant non seulement des affinités traditionnelles, familiales et/ou électives, mais aussi suivant des schémas de pensée qui correspondent à des représentations proposées par des maîtres. On peut même dire que les représentations de l'univers et de la réalité des maîtres sont la raison d'être des églises, des chapelles, des courants, des sectes et des écoles. Sans maître, pas de représentation originale de l'univers. Sans représentation, pas de dogmes, donc nulle adhésion et certainement pas de foi possible.
On pratique donc le bouddhisme d'abord par affinité spirituelle (dans le vrai sens du terme), puis on adhère aux dogmes du bouddhisme pour explorer son espace intérieur et pour observer les corrélations et les échanges avec le monde autour de soi. Ce chemin manifeste un choix personnel et une aventure spirituelle (toujours dans le vrai sens du terme) qui ne saurait être égale à l'aventure vécue par un autre (ou par soi-même) dans une autre école de pensée ou une autre église. A l'instar de tous les choix décisifs (mariage, carrière, résidence, etc.), la pratique du bouddhisme est à la fois une révélation personnelle et un choix formateur.
De même que l'on tombe amoureux d'untel ou d'une telle pour des raisons qui nous échappent, l'engagement dans une philosophie ou une religion échappe à une explication rationnelle totale. On peut s'en expliquer de certains aspects mais d'autres ne peuvent en aucun cas être formulés aisément en mots ou en pensées. Les motivations sont invisibles mais les manifestations sont tangibles. C'est sur ces mobiles qui nous éludent que les dogmes tentent de mettre un mot.

En fin de compte, pour revenir à la question première, il aurait été plus apparemment plus simple d'adhérer à une église chrétienne ou une philosophie occidentale. Mais la solution de proximité intellectuelle ou historique n'aurait rien changé à la complexité de l'aventure spirituelle, ni à la difficulté de se connaître soi-même. Pire, en adhérant à des dogmes dans lesquels on ne se reconnaît pas, tel un amnésique devant un miroir, on risque bien de se perdre de manière définitive pour finalement ne réaliser son erreur qu'à l'ultime instant de sa mort.
On pratique donc le bouddhisme parce que l'on s'y reconnaît, parce que les dogmes dont il est constitué nous parlent et épousent les perceptions intuitives que nous avions sur le monde et sur nous mêmes avant de rencontrer le bouddhisme. La religion et la philosophie sont un miroir. Elles nous renvoient une image de nous mêmes. Quand cette image ne correspond pas à ce que profondément nous ressentons, il faut regarder ailleurs et poursuivre sa recherche, toute une vie durant si besoin est. Et lorsque nous aurons enfin trouver l'enseignement ou l'ensemble de dogmes qui nous est propre, alors nous aurons trouver notre maître. Parfois, il s'incarneront dans un individu, d'autres fois ils ne seront que traditions, et parfois, cela arrive encore, ils sortiront de notre seul et propre esprit. C'est cela aussi l'enseignement du bouddha.